« Nous sommes ce que nous faisons à plusieurs reprises » dit Aristote, l’excellence n’est donc pas un acte, mais une habitude. »
Depuis près de quinze ans, mon habitude est celle d’accumuler et de collectionner des objets jetables. Ces éléments, qui enrichissent au fil des années mes collections hétéroclites, sont avant tout ma base de données, sorte de « bibliothèque de formes » dans laquelle je puise pour créer ensuite les sculptures qui composent mes œuvres. Une partie de ma recherche vise à trouver le juste équilibre entre le matériau sculptural et l’objet que je reproduis, afin d’explorer le potentiel narratif et heuristique d’un certain type d’objet. Parfois, je travaille dans l’autre sens, c’est-à-dire que je pars de l’objet pour traiter certains types de matériaux. Dans les deux situations, je construis des récits visuels, chaque fois différents. Surtout, la reproduction sculpturale n’aboutit jamais à une simple copie de la réalité, mais plutôt en une appropriation de l’objet lui-même, de sa forme, de son ontologie et de son identité sociale, qui le conduit à devenir un dispositif narratif à part entière.
Il y a quelques années, je me suis demandé comment j’aurais pu faire évoluer ma recherche et raconter de manière encore plus ironique l’univers de consommation dans la société contemporaine, dont une partie de mes collections est issue. J’ai donc commencé à m’intéresser à l’idée de souvenir, soit l’objet que l’on achète après avoir visité des villes ou des musées, et à travers lequel on tente d’immortaliser un moment de bonheur, parfois éphémère. Je suis fasciné par cette attitude de transfert de l’immatérialité d’un sentiment sur un objet (typique d’ailleurs de nombreuses pratiques religieuses) lorsqu’elle se mélange à l’approche omnivore typique de l’être humain de l’avoir, parce qu’elle crée la condition parfaite pour le système consumériste.
(…) Pour la résidence à la Fondation Saint Ange, je souhaite poursuivre ma réflexion sur les objets jetables et sur la notion d’œuvre/souvenir, en introduisant en revanche l’individu comme nouvel élément. Jusqu’à aujourd’hui, je me suis toujours intéressé aux formes, produits et objets que l’individu conçoit, crée et consomme, sans jamais l’inclure complètement dans mon travail (il y apparaît uniquement sous la forme de trace, de résidu, de produit). Maintenant, j’aimerais explorer les différentes possibilités pour l’intégrer, en restant toujours fidèle à ma pratique. En ce sens, j’ai commencé à réfléchir à l’image d’un individu qui peut être jeté comme les objets qu’il produit et consomme, et donc au possible passage conceptuel qui va du consommateur au consommé.
(…) Dans le prolongement de ces réflexions, je souhaite radicaliser la pensée en me concentrant sur la condition de dérive de l’homo consmmatus décrite ci-dessus en la reliant aux dynamiques festives (et aux objets directement liés) où cette dérive prend des élans paradoxaux. La consommation étant une attitude humaine très souvent liée à la notion de cérémonie, le but est de sublimer la dérive par l’articulation de certaines habitudes, situations, canons traduit en objets liés à l’idée de célébration, de commémoration et tout ce qui en découle.
En définitive, il s’agit de structurer une architecture de la pensée consumériste par l’articulation d’archétypes à la fois ontologiques, formels et de design, capables de suggérer les paradoxes inhérents à la dualité (consommateurs et consommés) de la condition humaine.
En ce sens, la résidence Saint Ange pourra profiter aux attentes de ce projet, justement en offrant un cadre de travail spécifique et pertinent. Elle me permettra d’incarner les questionnements soulevés et d’expérimenter le potentiel d’un contexte qui, loin de grands centres urbains où la consommation explose, articule les idéaux de domesticité, d’intimité, et presque de recueillement, que cette nouvelle facette de mon travail cherche à explorer.