Residence is ending for Mathilde Denize – 2017, May

La plus juste parole n’est surtout pas celle qui prétend « dire toujours la vérité ». Georges Didi-Huberman – Gestes d’air et de pierre (2005)

Découper une silhouette à même une toile peinte, prélever la forme d’une main au creux d’un morceau de carton, trouver une pierre dans la rue, décider de ramener à l’atelier une forme pour chapeau, conserver la peau d’une clémentine et une multitude de petits éléments fragiles et curieux. Mathilde Denize glane sur son passage des bouts d’existences, une matière de travail et de réflexion. Fruits d’une découverte ou d’une construction plastique, les œuvres incarnent les empreintes, les ruines, les artefacts intimes et impersonnels d’histoires anonymes. Des histoires quasi évanouies dont il reste très peu. Les fragments récoltés sont entassés à l’atelier, dans des petites boîtes, sur des petites étagères. Ils changent de place, ils s’embrassent, s’assemblent, se contredisent dans leur forme, leur matériau, leur histoire. Ils cohabitent. Ils donnent lieu à une pluralité de rencontres éphémères et à une représentation potentielle. L’artiste se donne en effet la liberté de représenter ces fragments d’existences, de s’en inspirer, de les contourner ou de les détourer. Par la peinture, elle les transpose en images. Les peintures, sur toile, sur carton, sur tissu ou sur bois, nous renvoient à un récit morcelé et insoluble. À chacun de s’y projeter, d’en interpréter les notes, les mots, les couleurs, les matières et les symboles.

La notion de faire-part est une clé de lecture de la pratique artistique de Mathilde Denize. Un faire-part est une invitation, « un petit carton pour annoncer un grand évènement ».[1] Faire-part est aussi une proposition, un appel au partage, à l’échange, à l’écoute et à la transmission. L’œuvre fonctionne alors comme une offrande. Il n’est pas étonnant de voir s’immiscer çà et là différentes formes d’ex-voto, des autels païens formés de petits objets, des peintures miniatures, de tessons et de bribes. Des autels, sobres et discrets, qui convoquent le geste, la forme et la matière. Ils invitent aussi à penser une filiation artistique où les esprits de Jean Arp, Constantin Brancusi, Giorgio Morandi, les acteurs et actrices de l’Arte povera, Marcel Duchamp, Cy Twombly, Francesca Woodman, Simone Fatal ou encore Wolfgang Tillmans. Les petits autels génèrent ainsi l’idée de communion, de réparation, de réconciliation.

Mathilde Denize s’installe dans ce moment de partage qui, comme un mouvement, un geste, est accompagné d’une perte inévitable. Les peintures, les sculptures et les assemblages fouillent avec une attention profonde et sensible ce qui était, ce qui n’est plus et ce qui résiste. Paradoxalement, la transmission donne lieu à une survivance des choses, des savoirs, des gestes, des formes, des empreintes. Les œuvres résultent de cette oscillation constante entre ce qui disparaît et ce qui subsiste. L’artiste pense à partir des petits bouts d’existences, auxquels elle va donner de l’air et du geste. Des petits bouts d’existences qui n’affirment rien, ne déterminent rien, aucune vérité, aucune autorité. Leur manipulation et leur représentation explorent bien au contraire un ensemble de gestes et de décisions guidés par la subtilité, la nuance, la fragilité, le trouble, l’imperceptibilité, le doute et la légèreté. À propos de l’idée de vérité, de son approche plastique, Georges Didi-Huberman écrit : « Il s’agit de l’accentuer. De l’éclairer – fugitivement, lacunairement – par instants de risque, décisions sur fond d’indécisions. De lui donner de l’air et du geste. Puis, de laisser sa place nécessaire à l’ombre qui se referme, au fond qui se retourne, à l’indécision qui est encore une décision de l’air. » (Gestes d’air et de pierre – 2005).

Loin, très loin, de la société du spectacle, des effets trompeurs et des postures absurdes et autoritaires, Mathilde Denize avance, pas à pas, vers une conversation sincère, timide, empathique, indisciplinée et poreuse avec une image intemporelle de nos passages, de nos histoires. Les corps fragmentés, désincarnés, à la fois présents et absents, les objets disloqués, décontextualisés, participent d’une danse, un mouvement. Une danse grâce à laquelle l’artiste recherche les brisures et les indices d’une image impossible du monde.

[1] Discussion avec l’artiste, 23 mars 2017.

 

Vernissage de l’exposition Jeudi 1er juin 2017 – 18h30
Exposition du 2 juin au 1er juillet 2017 -Du mardi au samedi, 15h – 19h et sur RDV

(Espace Vallès) 14 place de la République – Saint-Martin-d’Hères



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