Lionel Sabatté découvre durant son enfance les grottes du Périgord, cavités massives ornées de leurs dessins préhistoriques. Son souvenir porte sur la dimension historique de l’objet qui se tient face à lui : une paroi vieille de plusieurs milliers d’années, restée intacte, comme une trace immuable de l’humanité. Comment des objets peuvent-ils contenir autant d’histoire ? Comment peuvent-ils constituer de cette façon les archives d’une époque, résistant au passage du temps, et demeurer si contemporains ?
C’est à partir de ce paradoxe que se construit le travail de Sabatté. Sa particularité réside dans l’utilisation de matériaux résiduels, habituellement jetés, ignorés voire répulsifs, que l’artiste préfère considérer comme ces archives précieuses, émissaires du temps passé. Alors il les collecte, patiemment, pour en faire la matière première de ses œuvres. La poussière, par exemple, récoltée dans le métro, lieu de flux perpétuels ; ou bien les pièces de centimes, patinées par leur passage de mains en mains, deviennent les témoins de la vie et des échanges entre individus. Cette mémoire de la matière innerve l’œuvre de Sabatté.
L’artiste nous pose ainsi frontalement la question : la matière, la complémentarité des éléments, peuvent-elles répondre à la question du temps confiné dans les choses ? Le monde peuplé de créatures hybrides, que Lionel Sabatté réalise à partir d’un répertoire combiné de textures et de matériaux inattendus, nous apporte des réponses en filigrane. Le charbon, associé au ciment, aux tiges à béton et aux pigments, servent, par exemple, à façonner les Licornes rocheuses. Les souches d’arbres déracinées, qu’il ravive avec des fleurs faites de peaux mortes (Printemps 2015), ou les papillons abîmés qu’il répare minutieusement à l’aide des fragments d’ongles (Sombres réparations), abolissent la frontière entre les éléments d’origine végétale, minérale et organique. Rappelant notamment le bestiaire de l’art pariétal, ces créatures rapportent la dimension tant narrative des matériaux : elles racontent l’histoire du parcours, accidenté puis réparé, de la matière constitutive de notre monde.
Lionel Sabatté, né en 1975 à Toulouse, vit et travaille à Paris. Diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2003, il a reçu plusieurs prix artistiques comme celui de l’Institut Français de Maurice et de Yishu 8 de Pékin, et ses œuvres ont été exposées dans de nombreux pays (France, Belgique, Suisse, Allemagne, Canada, Tunisie, Turquie, Slovénie, Corée du Sud, Chine).